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Afrique : le train et le BRT, une solution contre les accidents (expert)

Le Sénégal a vécu ces derniers jours une tragédie routière qui a ému au-delà de ses frontières. Spécialiste de la…

Le SĂ©nĂ©gal a vĂ©cu ces derniers jours une tragĂ©die routière qui a Ă©mu au-delĂ  de ses frontières. SpĂ©cialiste de la sĂ©curitĂ© routière, Abdou Karim Diop a expliquĂ© dans un entretien avec APA que les moyens de transport de masse tels que le Train express rĂ©gional (Ter) et le Bus rapid transit (BRT) sont des solutions face Ă  l’insĂ©curitĂ© routière en Afrique.En l’espace d’une semaine de ce mois de janvier, les routes sĂ©nĂ©galaises ont enregistrĂ© plus de 60 morts par accident. Vous avez Ă©crit un livre sur « Les accidents de la route » (EdiSal). Quelles sont les principales causes d’accident routier au SĂ©nĂ©gal ?

Il va falloir que je m’incline d’abord devant la mĂ©moire des victimes. Parce que jamais dans l’histoire des accidents routiers au SĂ©nĂ©gal, il n’y a eu des morts aussi importants que l’accident de Sikilo (centre). Les causes, on les connaĂ®t. Ce sont le facteur humain Ă  90%, le facteur automobile pour 7% et le facteur routes pour 3%. On peut les dĂ©composer.

Pour ce qui concerne le facteur humain, il y a quatre Ă©lĂ©ments qui interviennent Ă  ce niveau. C’est d’abord des erreurs de perception liĂ©es Ă  un dĂ©faut de maĂ®trise de la part du conducteur. Il y a ensuite des fautes de manĹ“uvre, puis une incompĂ©tence momentanĂ©e qui peut ĂŞtre liĂ©e au sommeil, Ă  un mĂ©dicament, Ă  la fatigue, Ă  la somnolence etc. Et le dernier Ă©lĂ©ment, c’est l’incompĂ©tence totale du conducteur. 

Maintenant le facteur vĂ©hicule est surtout liĂ© Ă  l’anciennetĂ© du parc automobile. Au SĂ©nĂ©gal, sa moyenne d’âge est de vingt ans. Un vĂ©hicule est amorti Ă  partir de cinq ans. Au-delĂ , il commence Ă  tomber assez souvent en panne. Ce qui fait qu’il n’est pas tellement rentable. C’est la raison pour laquelle cet Ă©lĂ©ment-lĂ  fait intervenir le facteur vĂ©hicule sur les 7% des causes d’accident de la route. Il y a des vĂ©hicules de 70 ans qui circulent au SĂ©nĂ©gal. C’est extraordinaire !

Le dernier facteur qui intervient pour 3% est liĂ© aux problèmes de conception ou de lisibilitĂ© de la route en raison d’un dĂ©faut de signalisations horizontales et verticales. Ce sont tous ces facteurs conjuguĂ©s qui interviennent dans la survenue des accidents. On n’y a pas intĂ©grĂ© le facteur institutionnel parce que l’Etat joue un rĂ´le particulièrement important dans la dĂ©finition de la politique de sĂ©curitĂ© routière dans nos pays.

L’OMS note que le taux de mortalitĂ© dĂ» aux accidents routiers est de 26,6 dĂ©cès pour 100.000 habitants en Afrique, soit trois fois plus que dans les pays dĂ©veloppĂ©s. Pourquoi est-il plus difficile de faire respecter le code de la route sur le continent africain ?

Le premier Ă©lĂ©ment d’abord, c’est la vieillesse du parc automobile. Il y a quelque chose comme 1,2 milliard de vĂ©hicules d’occasions qui circulent dans le monde et un milliard de pneus. Toutes ces carcasses sont acheminĂ©es le plus souvent vers le continent africain. C’est comme si on dirait que nous sommes la poubelle du monde. Ces Ă©lĂ©ments interviennent dans la survenue des accidents. 

L’analphabĂ©tisme est aussi une explication. Pour le cas du SĂ©nĂ©gal, le taux d’alphabĂ©tisation pour les populations de plus de quinze ans est de 51%. Nous sommes dans des contextes de pays sous dĂ©veloppĂ©s avec des routes et vĂ©hicules qui laissent Ă  dĂ©sirer. A l’inverse, en Occident, le contrĂ´le et les sanctions sont beaucoup plus sĂ©vères. C’est la raison pour laquelle dans ces pays il y a moins d’accidents que sous nos tropiques.

 Après l’accident de Kaffrine (centre) qui a tuĂ© plus de 40 personnes, l’Etat a reculĂ© sur certaines des 22 nouvelles mesures visant Ă  renforcer la sĂ©curitĂ© routière. Pourquoi ?

L’État a reculĂ© pour mieux sauter. Parce qu’il y a deux impĂ©ratifs auxquels il est confrontĂ©. Le premier impĂ©ratif, c’est la libre circulation des biens et des personnes. Les populations qui aspirent Ă  se dĂ©placer, Ă  vaquer Ă  leurs occupations et Ă  se livrer Ă  leurs activitĂ©s Ă©conomiques. Le deuxième impĂ©ratif, c’est la sĂ©curitĂ© routière. C’est un choix qui est plus ou moins cornĂ©lien, entre satisfaire la volontĂ© des populations pour aspirer Ă  une sĂ©curitĂ© routière et permettre Ă  ces populations de se dĂ©placer. 

Il y a des solutions conjoncturelles face Ă  des situations d’urgence qu’il va falloir gĂ©rer. Le corridor Dakar – Bamako, qui enregistre 46% des accidents mortels au SĂ©nĂ©gal, est une route bidirectionnelle. Et ces types de routes occasionnent beaucoup d’accidents parce que les voitures se croisent. Bien sĂ»r, il va falloir beaucoup de temps et beaucoup de milliards pour financer une route tridirectionnelle qui irait de Dakar jusqu’Ă  la frontière vers le Mali.

 Les syndicats des transporteurs sont rĂ©putĂ©s très puissants, ce qui explique certains rĂ©tropĂ©dalages du gouvernement. Comment l’Etat doit-il procĂ©der pour que ses mesures soient suivies d’effet ?

Il y a d’abord un travail de pĂ©dagogie qu’il va falloir enclencher Ă  l’endroit des populations pour qui ces mesures sont destinĂ©es de façon gĂ©nĂ©rale, sans omettre les transporteurs et les conducteurs. Il faut nĂ©cessairement adopter une dĂ©marche inclusive, participative. L’État, les transporteurs, les chauffeurs doivent s’asseoir autour d’une table de nĂ©gociation pour prendre ces mesures fortes. MĂŞme si elles sont difficiles, il faudra nĂ©cessairement que l’État les prenne parce qu’elles vont dans le sens de l’amĂ©lioration des conditions de sĂ©curitĂ© routière dans le pays. On ne peut pas laisser l’anarchie s’installer sur les routes du pays. Annuellement, c’est presque 4000 personnes qui trouvent la mort (Ă  cause des accidents routiers) et 27.000 blessĂ©s alors que 47 accidents sont enregistrĂ©s par jour. Il faut freiner cette hĂ©morragie et cette hĂ©catombe routière.

 Certains transporteurs ont dĂ©crĂ©tĂ© une grève illimitĂ©e en rĂ©action aux mesures de l’Etat, empĂŞchant plusieurs personnes de se rendre Ă  leur lieu de travail. Quelles sont les solutions qui s’imposent Ă  ce cas d’espèce ? 

Nous sommes dans un Etat de droit qui garantit la libertĂ© du travail comme le droit de grève. Au SĂ©nĂ©gal, l’essentiel des dĂ©placements routiers est garantie par les structures privĂ©es. La sociĂ©tĂ© publique de transport « Dakar Dem Dikk » n’assure que 6% des dĂ©placements dans le pays. Le reste est gĂ©rĂ© par le privĂ©. C’est un problème. C’est la raison pour laquelle l’Etat a fait d’une pierre deux coups en mettant en service le Train express rĂ©gional (Ter). Cette offre de transport de masse (qui relie Dakar Ă  Diamniadio sur une distance d’une trentaine de kilomètres) permet de juguler ces accidents de la route. 60.000 personnes se dĂ©placent tous les jours sans utiliser le vĂ©hicule. Cette solution permet de rĂ©gler le problème des accidents routiers au SĂ©nĂ©gal et assurer le dĂ©placement des populations. 

Et encore, le SĂ©nĂ©gal gagnerait beaucoup plus avec la mise en service du projet du Bus rapid transit (BRT) dans le deuxième semestre de cette annĂ©e. 300.000 personnes seront dĂ©placĂ©es quotidiennement. Si l’État parvient Ă  conjuguer les forces du TER et celles du BRT, il parviendra Ă  rĂ©gler beaucoup de problèmes liĂ©s au dĂ©placement des populations et les accidents routiers.

 Plus gĂ©nĂ©ralement, quelles sont les rĂ©formes que l’Afrique doit mener pour rĂ©duire le nombre de morts causĂ©s par les accidents de la route ?

Je vous parlerais de la matrice de Haddon. Elle agit sur trois Ă©lĂ©ments : le facteur humain, le facteur route et le facteur vĂ©hicule. Il faut investir sur l’homme avant l’accident pour prĂ©venir les traumatismes. Cet investissement doit porter sur les notions de secourisme, la conduite automobile, l’obtention du permis de conduire etc. il faut aussi des routes très bien conçues et lisibles. Celles-ci doivent permettre au conducteur fautif de pouvoir amoindrir la faute qu’il a commise. Les bandes d’arrĂŞt d’urgence sont Ă©galement très importantes parce qu’elles permettent au secouriste d’intervenir rapidement sur les lieux de l’accident. L’autre Ă©lĂ©ment, c’est le vĂ©hicule. Il doit ĂŞtre en bon Ă©tat et effectuer la visite technique. Tous ces Ă©lĂ©ments combinĂ©s permettront de juguler le mal.