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Amnesty International dénonce les homicides commis par les forces de l’ordre dans les quartiers favorables à l’opposition

Depuis l’élection présidentielle du 18 octobre en Guinée, les forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force…

Amnesty International dénonce les homicides commis par les forces de l'ordre dans les quartiers favorables à l'opposition

Depuis l’élection présidentielle du 18 octobre en Guinée, les forces de l’ordre ont fait un usage excessif de la force tuant par balle plus d’une dizaine de personnes et arrêtant des centaines d’autres lors de manifestations ou d’opérations de police dans des quartiers perçus comme favorables à l’opposition, un homme de plus de 60 ans est mort présumément des suites de torture, a déclaré Amnesty International aujourd’hui.

Alors que le président Alpha Condé, réélu pour un troisième mandat, sera investi ce 15 décembre, l’organisation met en lumière, sur la base de témoignages recueillis auprès de familles de victimes, d’analyses et d’authentifications de photos, et d’un décompte fait auprès de structures médicales, le nouveau cran franchi dans la répression des manifestations et des voix critiques entre le 19 octobre et le début de ce mois.

« L’investiture du président Alpha Condé ce 15 décembre est l’aboutissement d’un processus électoral contesté, marqué par plus d’une année de violations graves des droits humains en Guinée en toute impunité. Avant, pendant et juste après l’élection, des personnes ont été tuées et blessées par la police et la gendarmerie et les annonces régulières d’ouverture d’enquêtes n’ont trouvé à ce jour aucun aboutissement, » a déclaré Fabien Offner, chercheur sur l’Afrique de l’Ouest à Amnesty International.

« Le président Condé a l’opportunité, avec ce nouveau mandat, de rompre avec le passé répressif. Tous les meurtres présumés de manifestants et d’autres individus qui résultent de l’usage excessif et illégal de la force, et ceux de policiers doivent faire l’objet d’enquêtes, et leurs auteurs poursuivis en justice pour répondre de leurs actes. »

Manifestations parfois violentes

Des manifestations parfois violentes ont éclaté au lendemain du scrutin présidentiel pour contester les résultats de l’élection présidentielle. Les forces de défense et de sécurité ont répondu en faisant un usage excessif de la force. Elles ont également mené des opérations dans certains quartiers qui se sont soldées par des morts.

Selon les autorités judiciaires, pendant les jours qui ont suivi l’élection présidentielle, 20 dépôts de corps ont été effectués au service de médecine légale de l’hôpital Ignace Deen à Conakry suite aux violences post-électorales, « pour les besoins d’autopsie. »

Pour l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, opposition), 46 personnes ont été tuées par les forces de de défense et de sécurité entre le 19 octobre et le 3 novembre.

Selon un décompte effectué par Amnesty International, au moins 16 personnes ont été tuées par balle entre le 18 et le 24 octobre. Entre le 19 et le 28 octobre, une seule clinique de la capitale a reçu 37 blessés, dont 15 par arme à feu et neuf par arme blanche.

Représailles contre des habitants

Amnesty International a documenté une série de violences exercées par les forces de défense et de sécurité contre les habitants de quartiers de la capitale réputés proches de l’opposition.

Le directeur général de la police nationale a fait état de deux « attaques armées par deux groupes d’assaillants au niveau du marché de Wanindara », un quartier de Conakry, menées le 30 novembre contre des « agents de police », faisant un mort et trois blessés parmi ces derniers. Le ministère de la Sécurité a qualifié l’attaque d’ « actes terroristes » et la police a annoncé des « ratissages » et un « dispositif costaud » à Wanindara.

C’est dans ce contexte que Mamadou Lamarana Diallo, un jeune habitant de Wanindara a été tué à bout portant le 1er décembre dernier sans raison, par un groupe de six policiers venus fouiller sa maison familiale. Le jeune homme ne présentait aucun danger immédiat.

Présente au moment des faits, la mère de la victime a déclaré à Amnesty International :

« (..) Les policiers ont dit qu’ils allaient fouiller la maison. Ils étaient six, un est resté dehors j’ai suivi les cinq autres. Ils ont regardé dans toutes les pièces et n’ont vu personne. (…) Entre temps, j’avais appelé mon fils. Son arrivée a coïncidé avec la sortie des policiers de la maison qui lui ont tiré dessus. Nous l’avons conduit à l’hôpital, il a rendu l’âme en cours de route. Nous sommes retournés chez nous avec le corps que nous avons enterré. »

Wanindara a été « encerclé » les jours suivants la mort du policier par les forces de défense et de sécurité, qui ont « tiré dans tout le quartier », selon une autre habitante qui a été frappée avec son fils le 1er  décembre.

Elle a déclaré à Amnesty International : « (..) Mon fils de 25 ans qui est étudiant allait à l’université. Il a présenté sa carte d’étudiant à des policiers, mais ils l’ont frappé. Il est revenu, et je suis ressortie ensuite avec lui jusqu’à la route. J’ai salué les policiers et je leur ai demandé si ce sont eux qui ont frappé mon fils. À ce moment, leur chef a dit : ‘Frappez ! Frappez là’. Ils ont déchiré mes habits. »

« Les déclarations virulentes de la part des autorités à l’endroit de quartiers perçus comme contestataires de Conakry se sont multipliées depuis l’élection d’Alpha Condé. Cette escalade verbale a coïncidé avec de graves violations des droits humains par les forces de l’ordre, » a déclaré Fabien Offner.

« Rien ne saurait justifier des opérations à l’allure d’expéditions punitives contre les habitants d’un quartier tout entier. L’usage d’armes à feu par les policiers n’est autorisé selon le droit international que pour se protéger ou protéger autrui contre un danger imminent de mort ou blessure grave. »

Au quartier la Cimenterie dans la commune de Dubreka au nord de Conakry, Abdoulaye Djibril Bah a succombé à ses blessures au bras et à la hanche après avoir reçu trois balles tirées par des forces de défense et de sécurité le 21 octobre. Il est mort dans les bras de son ami qui a été menacé par la police sur le chemin de l’hôpital.

Selon le témoignage recueilli par Amnesty International, Abdoulaye a rencontré des personnes qui fuyaient des forces de l’ordre se trouvant sur son chemin, et a été touché au bras. Essayant de se sauver, une deuxième balle l’a atteint à la jambe, puis rampant une troisième balle l’a atteint à la hanche. Deux personnes qui ont essayé de le secourir ont respectivement reçu une balle dans la jambe et le bras, et dans le ventre.

« (…) Abdoulaye était conscient quand je l’ai retrouvé. (…) La police a pointé des armes sur nous en disant qu’elle allait tirer si nous bougions. J’ai pleuré et j’ai dit qu’Abdoulaye était mourant … J’ai dit qu’ils vont devoir me tirer dessus aussi parce que je ne vais pas le regarder mourir. Un policier est venu et a dit ‘laissez-les partir, il  (Abdoulaye) est de toute façon un homme mort’, » a raconté son ami.

Utilisation de balles réelles par les forces de l’ordre

Le directeur général de la police nationale a affirmé à plusieurs reprises que les policiers n’étaient pas armés dans le cadre du maintien de l’ordre.

Mais sur la base des analyses et authentifications par ses experts, de photographies de douilles récupérées dans un quartier de Conakry où des forces de défense et sécurité ont été présentes pour réprimer une manifestation, Amnesty International confirme l’utilisation de balles – possiblement de fabrication chinoise – pour les armes de type AK/MPAK. Ces armes sont fréquemment utilisées par des membres des forces de défense et de sécurité, comme le prouvent de nombreuses vidéos et photographies authentifiées par l’organisation.

Le 23 octobre dernier, ces types de balles ont été utilisées par des membres des forces de défense et de sécurité qui ont gravement blessé Ousmane Barry un jeune de 24 ans, au quartier Lansanayah à Conakry. Selon des témoins, les forces de défense et de sécurité ont tué plusieurs personnes ce même jour après avoir assiégé le quartier.

Torture et mauvais traitements

Des experts en médecine légale à Amnesty International ont également analysé et authentifié les photos des blessures d’Ibrahima Sow, 62 ans, arrêté le 24 octobre et mort le 17 novembre dernier alors qu’il était toujours sous la supervision des autorités.

Ibrahima Sow a été arrêté pour « participation délictueuse à un attroupement avec violences », après l’attaque du train d’une société d’uranium au cours de laquelle « trois gendarmes, un militaire et un civil » ont été tués, selon les propos du procureur général de la Cour d’appel de Conakry datés du 31 octobre.

Au lendemain de sa mort, le ministère de la Justice a indiqué dans un communiqué que Sow avait été testé positif au Covid-19, puis était sorti guéri du Centre de traitement de la prison de Conakry, avant de se « plaindre d’un diabète » et d’être transféré à l’hôpital où il est décédé. Sa famille et l’Organisation guinéenne des droits de l’hommes (OGDH) accusent les autorités de vouloir dissimuler une mort causée par des actes de torture ou des mauvais traitements en détention.

Une analyse d’Amnesty International a conclu que « pris ensemble, le schéma des blessures d’Ibrahima Sow suggère fortement l’infliction de brûlures à l’aide d’une tige de fer chaud ou d’un objet similaire. Les blessures sont des preuves très solides de mauvais traitements ». Ces blessures pourraient être la cause de la mort d’Ibrahima Sow.

Arrestations et détentions arbitraires

Les autorités ont également procédé à au moins 400 arrestations arbitraires ciblant des opposants et des membres de la société civile après l’élection présidentielle. Le 31 octobre, le président de la Cour d’appel de Conakry a annoncé que 325 personnes avaient été interpellées dans le cadre des violences post-électorales.

Le 10 novembre, le procureur de Dixinn a annoncé que 78 personnes avaient été présentées à un juge et que plusieurs autres étaient recherchées par les enquêteurs. Le lendemain, certaines étaient arrêtées dont Ibrahima Chérif Bah, vice-président de l’UFDG, Ousmane « Gaoual » Diallo, député et coordinateur de l’UFDG, Abdoulaye Bah, ancien maire UFDG de Kindia, Etienne Soropogui, président du mouvement « Nos valeurs communes », et Mamadou Cellou Baldé, coordinateur des fédérations UFDG de l’intérieur. Ces personnes sont inculpées pour « détention et fabrication d’armes légères, d’association de malfaiteurs, de trouble à l’ordre public, pillage et destruction, de participation à un attroupement, de propos incitants à la violence ».

Etienne Soropogui a été admis à l’hôpital le 27 novembre pour des problèmes pulmonaires. Il est retourné en détention à la prison civile le 8 décembre alors que son état nécessite encore des soins selon son avocat.  Par ailleurs, un cadre du FNDC,  Oumar Sylla, est en prison depuis plusieurs mois.

Le 22 novembre, le porte-parole du gouvernement a annoncé « la suspension pour raison sanitaire, des manifestations de masse sur toute l’étendue du territoire national. »

« La contestation de la réélection du président Condé ne doit en aucun cas être un prétexte de plus pour museler les opposants, empêcher les manifestations pacifiques et protéger l’impunité des forces de défense et de sécurité auteurs de violences sur des manifestants et passants. Le nouveau gouvernement doit mettre fin de toute urgence à la répression sanglante observée en Guinée, » a déclaré Fabien Offner.

Par Amnesty International