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En Libye, la guerre premier rempart contre le coronavirus ?

Faisant fi des appels des autorités sanitaires à éviter les rassemblements pour se prémunir contre le nouveau coronavirus, Moayed al-Missaoui…

Faisant fi des appels des autorités sanitaires à éviter les rassemblements pour se prémunir contre le nouveau coronavirus, Moayed al-Missaoui suit dans un café bondé de la capitale libyenne un match du championnat italien de football retransmis à la télévision.

Comme lui, de nombreux Libyens estiment que le conflit qui dĂ©chire leur pays a au moins un aspect positif. Pour eux, la fermeture du seul aĂ©roport international de Tripoli et les liens limitĂ©s avec l’Ă©tranger Ă  cause de la guerre les protège du Covid-19: si l’Ă©pidĂ©mie a touchĂ© les pays voisins, aucun cas n’a Ă©tĂ© rapportĂ© Ă  ce jour en Libye.

« Nous sommes Ă  l’abri des virus en Libye, un pays dont la capitale est assiĂ©gĂ©e et dont les issues terrestres et aĂ©roportuaires sont fermĂ©es », avance Moayed al-Missaoui.

Pour cet universitaire de Tripoli, les Libyens n’ont « rien Ă  craindre », contrairement aux pays ayant des contacts permanents avec le reste du monde.

Lui et ses amis ont les yeux rivĂ©s sur l’Ă©cran pour suivre un match qui se joue en Italie dans un stade vide. On entend clairement Ă  la tĂ©lĂ©vision l’Ă©cho des coups de sifflet de l’arbitre et les cris des entraĂ®neurs, tranchant avec la brouhaha dans le cafĂ©.

Les matchs du championnat italien ont Ă©tĂ© chamboulĂ©s cette semaine par l’Ă©pidĂ©mie de nouveau coronavirus, qui a conduit les autoritĂ©s italiennes Ă  imposer un huis clos gĂ©nĂ©ralisĂ©, dans un pays parmi les plus touchĂ©s au monde qui vit dĂ©sormais sous cloche.

« Nos voisins italiens sont privĂ©s du plaisir d’assister au match dans les stades et mĂŞme dans les cafĂ©s et les places publiques alors que c’est du pur plaisir pour nous », lance Moayed avec le sourire.

– ZĂ©ro cas –

Son voisin, Diya Abdel Karim, estime qu’il est plus « sensé » de gĂ©rer cette Ă©pidĂ©mie avec dĂ©contraction pour Ă©viter la vague de panique qui règne dans les pays touchĂ©s.

« Il vaut mieux ne pas susciter la peur et la panique chez les gens pour que les autorités puissent appliquer des mesures sanitaires préventives sans pression », estime ce dentiste, soulignant toutefois qu' »il faut être vigilant ».

Jusqu’ici, les autoritĂ©s libyennes affirment qu’aucun cas de contamination n’a Ă©tĂ© recensĂ©, ce qui n’Ă©carte pas l’existence de cas isolĂ©s non contrĂ´lĂ©s, dans un pays en proie au chaos depuis des annĂ©es.

« Grâce Ă  Dieu, nous n’avons enregistrĂ© aucun cas », confirme Ă  l’AFP Badreddine al-Najjar, prĂ©sident du Centre national de lutte contre les maladies (CNLM).

Le CNLM, une entitĂ© gouvernementale basĂ©e Ă  Tripoli, prĂ©voit toutefois des mesures prĂ©ventives face Ă  d’Ă©ventuelles contaminations provenant notamment des pays mitoyens de la Libye ayant enregistrĂ©s des cas de Covid-19.

« Le virus entoure la Libye de tous les cĂ´tĂ©s. (…) Il est nĂ©cessaire de surveiller ce danger transfrontalier », mĂŞme si les dĂ©placements vers et depuis la Libye sont limitĂ©s, ajoute M. Najjar.

Tunisie, AlgĂ©rie et Egypte ont annoncĂ© cette semaine des cas de Covid-19, « mais on ne peut pas encore parler d’Ă©pidĂ©mie », souligne-t-il.

Quoi qu’il en soit, les autoritĂ©s sanitaires se prĂ©parent, selon M. Najjar: « Dès la semaine prochaine, les cellules de quarantaine et d’isolement seront prĂŞtes ».

– Rupture de stock –

Exemple de l’isolement de la Libye du reste du monde du fait des conflits armĂ©s et des violences qui secouent le pays depuis la chute en 2011 de Mouammar Kadhafi, aucun avion civil ne se pose actuellement dans la capitale.

Pour se rendre d’Europe Ă  Tripoli, il faut aller Ă  Tunis ou Ă  Istanbul, puis prendre un vol pour Misrata et enchaĂ®ner sur un trajet de 200 km en voiture jusqu’Ă  Tripoli, si les conditions de sĂ©curitĂ© le permettent. Une autre option est une journĂ©e en voiture de Tunis jusqu’au poste-frontière Ras JĂ©dir, avant d’enchaĂ®ner sur un trajet ardu de 150 km jusqu’Ă  la capitale, durant lequel le coronavirus n’est pas la principale source d’insĂ©curitĂ©.

Fin 2019, un journaliste de l’AFP a mis plus d’une semaine avant de pouvoir rejoindre Tripoli depuis une capitale europĂ©enne.

Mais certains Libyens craignent nĂ©anmoins de ne pas ĂŞtre Ă  l’abri d’une contamination dont les effets seraient alors catastrophiques dans un pays oĂą la guerre a tuĂ© des centaines de personnes et dĂ©placĂ© plus de 150.000 autres.

Alors ils prennent des précautions.

Cela a déjà entraîné des ruptures de stocks dans les pharmacies et les supermarchés pour certains produits.

« Les importations de gel hydroalcoolique, de masques et de gants ont nettement augmenté », prĂ©cise Ă  l’AFP Mounir el-Hazel, directeur d’une sociĂ©tĂ© d’importation de matĂ©riel mĂ©dical.

« Commerçants, pharmaciens et particuliers, (…) se prĂ©parent Ă  d’Ă©ventuelles pĂ©nuries », explique-t-il.

Et certains en profitent. Selon cet homme d’affaires, les prix de certains produits ont Ă©tĂ© multipliĂ©s par trois, voire six, par rapport au mois de dĂ©cembre.