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Le 18 avril 1980 naissait le Zimbabwe

Lentement "l'Union Jack" glisse le long du mât. Une immense clameur s'élève dans le stade Rufaro à Salisbury. Il est…

Lentement « l’Union Jack » glisse le long du mât. Une immense clameur s’Ă©lève dans le stade Rufaro Ă  Salisbury. Il est un peu plus de minuit ce vendredi 18 avril 1980: le Zimbabwe est nĂ©.

Trente-six mille poitrines fĂŞtent avec enthousiasme la montĂ©e du drapeau rouge, vert, jaune et noir, frappĂ© de l’Ă©toile et de l’oiseau sacrĂ©, symboles du nouvel Etat, qui a abandonnĂ© son ancien nom de RhodĂ©sie.

Mettant fin Ă  90 ans de colonisation, la Grande-Bretagne accorde l’indĂ©pendance Ă  son ancienne colonie « rebelle ». Devant une foule en dĂ©lire, le Prince Charles, hĂ©ritier du trĂ´ne britannique, remet au prĂ©sident du nouvel Etat, Canaan Banana, le texte de la Constitution.

Une centaine de dĂ©lĂ©gations Ă©trangères assistent aux cĂ©rĂ©monies. L’Afrique du sud et la plupart des pays d’Europe de l’Est ne sont pas reprĂ©sentĂ©s. L’Union soviĂ©tique, coupable de soutenir Joshua Nkomo, grand rival (chez les nationalistes noirs) du nouvel homme fort du pays Robert Mugabe, a failli ne pas ĂŞtre conviĂ©e.

Les principaux mouvements de libĂ©ration comme ceux d’Afrique du Sud, le Front Polisario du Sahara occidental, et l’Organisation de libĂ©ration de la Palestine sont reprĂ©sentĂ©s, ainsi que les pays occidentaux. Grand absent, l’ancien leader rhodĂ©sien blanc Ian Smith.

– Une colonie rebelle –

Ian Smith Ă©tait devenu le 11 novembre 1965 le premier sujet britannique Ă  dĂ©clarer unilatĂ©ralement l’indĂ©pendance d’une colonie de la Couronne, depuis les Etats-Unis en 1776.

« L’affaire rhodĂ©sienne », ne devait ĂŞtre rĂ©glĂ©e que quinze ans plus tard, après sept ans de guerre entre les autoritĂ©s de Salisbury (aujourd’hui Harare) et les nationalistes noirs.

Pour prĂ©venir une accession de la majoritĂ© noire au pouvoir, la minoritĂ© blanche conduite par Ian Smith (250.000 personnes contre 6 millions de Noirs) dĂ©clare l’indĂ©pendance, contre la volontĂ© de Londres. L’initiative, jugĂ©e illĂ©gale, est condamnĂ©e par la communautĂ© internationale.

Le pays se rebaptise « RhodĂ©sie » (dĂ©rivĂ© de CĂ©cil Rhodes, explorateur et aventurier qui colonisa la rĂ©gion Ă  la fin du XIXe siècle). Le gouvernement britannique conserve l’appellation « RhodĂ©sie du sud » pour marquer la pĂ©rennitĂ© du statut de colonie. Certaines instances internationales l’appellent dĂ©jĂ  « Zimbabwe » (nom du royaume ayant dominĂ© cette rĂ©gion jusqu’Ă  la fin du XVe siècle).

En rĂ©action aux sanctions Ă©conomiques imposĂ©es par le Royaume-Uni puis l’ONU, le gouvernement organise une semi-autarcie.

Selon Londres, la RhodĂ©sie, enclavĂ©e, devait se soumettre tĂ´t ou tard. C’Ă©tait ignorer la capacitĂ© d’autosuffisance d’une colonie que sa population blanche (se servant d’une abondante et avantageuse rĂ©serve de main d’oeuvre noire) avait portĂ©e Ă  un exceptionnel degrĂ© de prospĂ©ritĂ©.

– Plus de 27.000 morts –

Et c’Ă©tait ignorer la conviction de son leader qui avait promis que « jamais, mĂŞme dans mille ans », les Noirs ne gouverneraient.

Outre l’embargo, les RhodĂ©siens sont confrontĂ©s Ă  des tentatives d’insurrection des nationalistes noirs.

Tout commence vraiment le 21 dĂ©cembre 1972. A l’aube, un petit commando attaque Ă  la roquette la ferme des Borgrave, une famille europĂ©enne vivant Ă  Centenary (nord-est). Quelque vitres brisĂ©es, une fillette lĂ©gèrement blessĂ©e: la communautĂ© blanche y voit une escarmouche sans lendemain. C’est en fait le premier acte d’un conflit dont le bilan, sept ans plus tard, atteindra plus de 27.000 morts

Le nombre des nationalistes augmente d’annĂ©e en annĂ©e et les accrochages deviennent de plus en plus sĂ©vères, surtout Ă  partir de 1975, lorsque le Mozambique voisin devient indĂ©pendant.

Mais le mouvement noir est divisĂ© et les rivalitĂ©s entre ses chefs fortes: l’Union populaire africaine du Zimbabwe (ZAPU), dirigĂ©e par Joshua Nkomo, et l’Union nationale africaine du Zimbabwe (ZANU) de Robert Mugabe ont une idĂ©ologie socialiste et exigent le transfert du pouvoir Ă  la majoritĂ© africaine. La première, « modĂ©rĂ©e », est favorable aux nĂ©gociations avec les autoritĂ©s, la seconde, « radicale », dĂ©fend la lutte armĂ©e.

– De difficiles nĂ©gociations –

Le Conseil national africain (ANC) de l’Ă©vĂŞque Abel Muzorewa, prĂ´ne lui la non-violence.

Fin 1974, les trois tendances proclament leur unification, mais les Etats voisins favorisent Robert Mugabe, qui, à la tête de 12.000 combattants, mènera désormais la guérilla.

L’effondrement de l’empire portugais, la politique « d’ouverture » de l’Afrique du Sud et les progrès de la guĂ©rilla noire sur le terrain contraignent Salisbury Ă  rouvrir le dossier. Ian Smith tente d’entamer un dialogue avec l’aile modĂ©rĂ©e des nationalistes. Une rencontre historique a lieu le 25 aoĂ»t 1975 aux chutes Victoria.

Après un « règlement interne », des Ă©lections gĂ©nĂ©rales ont lieu en avril 1979. Deux mois plus tard, l’Etat de « Zimbabwe-RhodĂ©sie » est proclamĂ©. Un gouvernement Ă  majoritĂ© noire, dirigĂ© par le vainqueur des Ă©lections, l’Ă©vĂŞque Abel Muzorewa, est installĂ©.

Les guĂ©rilleros ne dĂ©sarment pas et la mĂŞme annĂ©e, Abel Muzorewa signe Ă  Londres, avec la Grande-Bretagne et ses deux ennemis, Robert Mugabe et Joshua Nkomo, un accord aboutissant Ă  l’indĂ©pendance.

Nouvel homme fort du pays, Robert Mugabe, sĂ©duira d’abord par une politique de rĂ©conciliation. Il instaurera ensuite un rĂ©gime autoritaire et prĂ©cipitera l’effondrement Ă©conomique de son pays avec une violente rĂ©forme agraire. Contraint de dĂ©missionner en 2017 après trente-sept ans de pouvoir, il mourra deux ans plus tard.