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Le dialogue national tchadien a des enjeux africains (analyste)

Expert de la géopolitique du Sahel et de l'Afrique, le journaliste nigérien Seidik Abba analyse pour APA les enjeux du…

Expert de la gĂ©opolitique du Sahel et de l’Afrique, le journaliste nigĂ©rien Seidik Abba analyse pour APA les enjeux du dialogue national tchadien lancĂ© le 20 aoĂ»t dernier mais temporairement suspendu Ă  cause de certains dĂ©saccords.Deux semaines après son ouverture, le dialogue national inclusif tchadien est momentanĂ©ment suspendu. Qu’est-ce qui motive cette dĂ©cision ?

On peut Ă©voquer plusieurs facteurs pour expliquer cette suspension. Il y a d’abord la volontĂ© des autoritĂ©s de donner une chance au caractère encore plus inclusif du dialogue. Outre les mouvements politico-militaires, il y a une partie de la classe politique, au premier rang de laquelle les Transformateurs de Succès Masra, qui ne participe pas au dialogue. Il en est de mĂŞme pour une partie de la sociĂ©tĂ© civile, Ă  l’image du collectif Wakit Tama. Avec ces absences, il y a le risque que le dialogue n’ait pas le caractère inclusif souhaitĂ© en vue d’obtenir un consensus plus large possible sur les dĂ©cisions qui sortiront. Les autoritĂ©s ont estimĂ© qu’il fallait donner une dernière chance aux tractations avec les parties qui ne sont pas prĂ©sentes. Les facilitateurs qataris Ă©taient Ă  N’Djamena. Ils ont rencontrĂ© certains dirigeants politiques et de la sociĂ©tĂ© civile dans le but de les persuader. L’espoir n’est pas perdu. Beaucoup regardent aussi du cĂ´tĂ© de la France pour savoir si elle peut contribuer Ă  une plus large participation. Donc, les tractations se poursuivent pendant cette pĂ©riode de suspension.

L’autre raison est de permettre Ă  tout le monde de prendre connaissance le plus largement possible des projets de textes qui ont Ă©tĂ© prĂ©parĂ©s pour la discussion. Des tractations sont Ă©galement en cours avec les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) pour les convaincre de participer au dialogue. Le Fact a posĂ© un certain nombre de prĂ©alables, notamment la libĂ©ration des personnes dĂ©tenues, une amnistie des garanties. Il a estimĂ© que tout cela n’a pas Ă©tĂ© pris en compte et qu’il ne pouvait pas participer. Mais des mĂ©diations sont en cours. La suspension vise justement Ă  favoriser les derniers obstacles et rĂ©ticences pour que le dialogue reprenne de plus belle et qu’il soit le plus consensuel et le plus inclusif. C’est quand mĂŞme la première fois dans l’histoire politique du Tchad qu’on a un dialogue aussi large que celui-lĂ , avec un caractère souverain et des dĂ©cisions qui devraient ĂŞtre totalement exĂ©cutoires.

Pourquoi la nomination d’un comitĂ© ad hoc pour faciliter la participation de toutes les composantes de la sociĂ©tĂ© tchadienne au dialogue a provoquĂ© le retrait de certaines organisations ?

Ce retrait symbolise la difficultĂ© de la classe politique tchadienne. Au moment oĂą on cherche Ă  Ă©largir, d’autres se sont retirĂ©s. Ils estiment avoir dĂ©jĂ  fait preuve de bonne volontĂ© en venant au dialogue et ne voient pas d’un bon Ĺ“il le fait d’aller supplier les absents. Tout cela dĂ©montre l’absence de sĂ©rĂ©nitĂ© dans laquelle les choses se font. C’est surtout cette volontĂ© de concession qui a heurtĂ© un certain nombre d’acteurs. A mon avis, ce n’est pas la meilleure façon de favoriser le dialogue. Mais avec les tractations en cours, avec la volontĂ© des uns et des autres, tout le monde pourrait ĂŞtre amenĂ© Ă  reconsidĂ©rer sa position. A partir du moment oĂą on est dĂ©jĂ  prĂ©sent Ă  N’Djamena, c’est qu’on a acceptĂ© l’idĂ©e de dialogue.

Le dialogue se tient avec une quarantaine de groupes politico-militaires, mais sans le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact), responsable de la mort du prĂ©sident Idriss Deby. Cette absence remet-elle en cause la crĂ©dibilitĂ© des discussions ?

Le Fact, un des plus grands mouvements politico-militaires au Tchad, a choisi de s’absenter parce qu’il estime que les conditions prĂ©alables qu’il a posĂ©es ne sont pas respectĂ©es. Il s’agit entre autres de la libĂ©ration de dĂ©tenus politiques, la crĂ©ation d’un cadre serein pour l’ouverture et la tenue du dialogue, des garanties de sĂ©curitĂ©, etc. C’est clair que c’est un Ă©lĂ©ment important, qu’il aurait Ă©tĂ© plus correct que le Fact soit prĂ©sent Ă  la discussion. Mais cette absence n’invalide pas le dialogue. Si ce dernier obtient de bons rĂ©sultats, l’absence du Fact pourrait se retourner contre lui. Le boycott est toujours une arme Ă  double tranchant. Aujourd’hui, l’enjeu c’est le rĂ©sultat du dialogue. Si au terme, on rĂ©ussit Ă  trouver un consensus sur la tenue d’Ă©lections libres, transparentes et dĂ©mocratiques, sur la structure chargĂ©e de les organiser et sur une nouvelle Constitution, le Fact pourrait ĂŞtre le grand perdant. Pour cette raison, il faut ĂŞtre prĂ©sent pour pouvoir faire changer les choses. Puisqu’il Ă©tait entendu qu’il n’y a pas de tabou, tout pourrait ĂŞtre mis sur la table et discutĂ©. La bonne mĂ©thode aurait Ă©tĂ© de venir et de voir comment crĂ©er le rapport de force. De mon point de vue, il n’y a pas de risque que la crĂ©dibilitĂ© des dĂ©cisions soit affectĂ©e par l’absence du Fact, Ă  condition qu’elles soient bonnes. S’il y a un consensus sur les principaux enjeux (Ă©lection prĂ©sidentielle, libĂ©ration de dĂ©tenus, …), les gens ne se soucieront pas tellement de la non-participation d’une entitĂ© (quelle que soit sa dimension).

Avant l’ouverture du dialogue, le prĂ©sident en exercice de l’Union africaine (UA), le SĂ©nĂ©galais Macky Sall, a rencontrĂ© le prĂ©sident de la transition tchadien Ă  N’Djamena. Quelles devraient ĂŞtre les retombĂ©es de cette visite ?

En sa qualitĂ© de prĂ©sident en exercice de l’Union africaine, le prĂ©sident Macky Sall Ă©tait Ă  N’Djamena, Ă  la veille de l’ouverture du dialogue, pour encourager les parties tchadiennes et soutenir la dĂ©marche. Il est important que les Tchadiens sentent qu’ils sont soutenus dans leur dĂ©marche par l’Afrique d’abord, ensuite par la communautĂ© internationale. Le prĂ©sident Macky Sall, en sa qualitĂ© de prĂ©sident en exercice de l’Union africaine, est venu l’exprimer. Le Tchad est quand mĂŞme un pilier de la question sĂ©curitaire au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad. Toute approche qui viserait Ă  encourager le dialogue et la solution nĂ©gociĂ©e entre les parties tchadiennes ne peut que profiter Ă  la stabilitĂ© de l’Afrique et de la sous-rĂ©gion. Le Tchad est engagĂ© dans la lutte contre Boko Haram et les autres groupes terroristes au Sahel occidental, notamment dans la zone des trois frontières. Les soldats tchadiens y sont dĂ©ployĂ©s en soutien au Niger et au Burkina Faso. Donc, il est important que le prĂ©sident Macky Sall vienne encourager les parties tchadiennes et les aider Ă  convaincre les rĂ©ticences qu’il peut y avoir par rapport au dialogue.

Ses enjeux dĂ©passent largement le cadre tchadien et sous-rĂ©gional, notamment le bassin du Lac Tchad, pour concerner toute l’Afrique de l’ouest. A partir du moment oĂą ça implique la stabilitĂ© de tout le continent, c’est important que le prĂ©sident en exercice de l’Union africaine vienne dire aux parties tchadiennes que « l’Afrique vous regarde, l’Afrique est avec vous ».