Le Groupe BGFIBank, premiĂšre institution financiĂšre dâAfrique Centrale, prĂ©sent dans 11 pays, intervient depuis cinq dĂ©cennies dans lâaccompagnement etâleâfinancement de projets dâinfrastructures sur leâcontinent. Son P-DG, Henri-Claude Oyima, dĂ©crypte les enjeux et les perspectives du secteur en Afrique.
Quels sont aujourdâhui les besoins en termes de financement des infrastructures en Afrique ?
Il est incontestable que le manque dâinfrastructures en Afrique est un obstacle majeur Ă son dĂ©veloppement et Ă sa croissance Ă©conomique. En effet, les coĂ»ts Ă©levĂ©s des facteurs de production, induits par la mauvaise qualitĂ© des infrastructures sur le continent, lui font perdre plusieurs points de croissance chaque annĂ©e et freinent son dĂ©veloppement.
Par ailleurs, lâAfrique est confrontĂ©e au dĂ©fi de sa forte poussĂ©e dĂ©mographique qui accroĂźt lâurgence dâaccĂ©lĂ©rer le rythme des investissements en infrastructures. Ă lâhorizon 2050, le continent africain devrait accueillir autour de 2,3 milliards dâhabitants. Dans ce contexte, le dĂ©veloppement dâun rĂ©seau dâinfrastructures de qualitĂ© devient une nĂ©cessitĂ© absolue.
Bien que de nombreux progrĂšs aient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s au cours des derniĂšres annĂ©es avec lâappui des partenaires multilatĂ©raux et de la Chine, qui sâest positionnĂ©e progressivement comme un acteur incontournable, les besoins en infrastructures restent Ă©normes dans la plupart des secteurs.
Du secteur des transports Ă celui des tĂ©lĂ©communications, en passant par lâĂ©nergie, lâadduction dâeau, la santĂ© et lâĂ©duction, des investissements massifs restent Ă rĂ©aliser afin de rattraper le retard accusĂ© par lâAfrique. DâaprĂšs les derniĂšres estimations de la Banque africaine de dĂ©veloppement (BAD), entre 130 Ă 170 milliards de dollars par an seraient nĂ©cessaires pour combler le gap de financement des infrastructures du continent.
Outre les besoins de financement, les infrastructures en Afrique souffrent Ă©galement du manque de ressources techniques et de problĂšmes de conception. Ces insuffisances pĂšsent fortement sur son niveau de dĂ©veloppement social et Ă©conomique, alors que, parallĂšlement, le continent prĂ©sente de nombreux atouts et des perspectives dâinvestissements favorables.
Aujourdâhui plus quâhier, lâAfrique a besoin Ă la fois dâinfrastructures de structures et de superstructures pour accroĂźtre sa compĂ©titivitĂ©, sa productivitĂ© Ă©conomique et accĂ©lĂ©rer son dĂ©veloppement social et Ă©conomique. Dans cette perspective, elle a plus que jamais, besoin de mĂ©canismes adaptĂ©s et innovants pour le financement de ces infrastructures.
Les retards que nous observons aujourdâhui sont rattrapables, pour autant que lâon se donne rĂ©ellement les moyens de relever ces dĂ©fis multiformes afin de soutenir lâessor du continent africain.
Quel est le rĂŽle de BGFIBank, quels types dâinfrastructures le Groupe accompagne-t-il, dans quels secteurs et dans quels pays ?
Depuis prĂšs de cinquante ans, le Groupe BGFIBank, qui est le premier acteur financier en Afrique centrale, participe au financement des infrastructures africaines. Nous le rĂ©alisons dans nos onze pays dâimplantation, dans de nombreux secteurs dâactivitĂ©, et notamment ceux Ă fort impact tels que lâĂ©nergie, lâeau, le logement, le bĂątiment, les industries, la santĂ© et lâĂ©ducation. Ces investissements nous permettent aujourdâhui de jouer un rĂŽle de premier plan dans lâatteinte tant de lâObjectif 10 de lâAgenda 2063 de lâUnion africaine (« des infrastructures de classe mondiale quadrillant lâAfrique »), que des Objectifs du dĂ©veloppement durable (ODD) â plus de 80 % des ODD dĂ©pendent en effet, sous une forme ou une autre, du dĂ©veloppement des infrastructures.
Pour illustrer lâintervention du Groupe BGFIBank dans le financement des infrastructures en Afrique, je me limiterai principalement Ă trois exemples rĂ©cents:
â en CĂŽte dâIvoire, nous avons contribuĂ© activement au financement du Plan dâentretien routier 2017-2019. Nous avons ainsi aidĂ© Ă lever (grĂące Ă notre filiale BGFI Capital) 80 milliards de FCFA (environ 122 millions dâeuros), ce qui a contribuĂ© Ă maintenir un rĂ©seau routier de qualitĂ© en CĂŽte dâIvoire, renforçant ainsi lâattractivitĂ© du pays ;
â au Gabon, nous avons mobilisĂ© des financements importants, particuliĂšrement dans le secteur des tĂ©lĂ©communications, qui ont permis de couvrir 85 % du territoire national afin de gĂ©nĂ©raliser lâaccĂšs Ă la 3G, puis Ă la 4G ;
â enfin, au Cameroun, fort de nos dix annĂ©es de prĂ©sence, nous avons participĂ© Ă des projets dâinvestissements (notamment dans les infrastructures sociales, lâĂ©nergie, lâindustrie) dont le montant cumulĂ© atteint 175 milliards de FCFA (soit environ 270 millions dâeuros).
Nous intervenons aussi bien en amont et en aval des projets.
En amont, notre expertise en matiĂšre de structuration des opĂ©rations de financement est mobilisĂ©e, principalement par le biais de notre sociĂ©tĂ© dâingĂ©nierie financiĂšre BGFI Capital, la banque dâinvestissement du Groupe. Nous intervenons en qualitĂ© dâarrangeur et nous assurons Ă ce titre la structuration complĂšte du financement. Notre intervention est particuliĂšrement apprĂ©ciĂ©e par les Ătats que nous accompagnons. En effet, le montage financier dâimportants projets dâinfrastructures (et surtout sâil sâagit dâinfrastructures structurantes) constitue une phase critique de leur cycle de vie, et les pouvoirs publics ne disposent pas nĂ©cessairement de toute lâexpertise nĂ©cessaire pour, non seulement, conduire le processus Ă son terme, mais aussi le faire dans les conditions les plus avantageuses. Nos interventions sont donc sources dâexternalitĂ©s positives et gĂ©nĂšrent des transferts de compĂ©tence qui bĂ©nĂ©ficient aux dĂ©cideurs du secteur public avec lesquels nous travaillons en Ă©troite collaboration.
En aval, nous assurons la mise Ă disposition des fonds, grĂące Ă notre vaste rĂ©seau de filiales ou dâagences bancaires. En qualitĂ© de banque agent ou de banque participante, nous assurons la gestion quotidienne des flux de financement
Quelle que soit notre position dans le financement des projets dâinfrastructures, notre prĂ©occupation premiĂšre demeure la bonne prise en charge des spĂ©cificitĂ©s et des particularitĂ©s du projet et de son porteur, i.e. lâadĂ©quation entre le planning dâexĂ©cution des travaux et le plan de trĂ©sorerie, la sĂ©curitĂ© du montage financier. Loin dâĂȘtre simple spectateur dans le processus de financement des infrastructures, notre dĂ©marche sâinscrit dans une logique de conseil. Ă titre dâexemple, au Cameroun, nous avons couvert la chaĂźne globale de financement dâun projet de 33 milliards FCFA (50 millions dâeuros) en qualitĂ© de banque arrangeur de lâopĂ©ration, de banque agent de la facilitĂ© mais aussi de banque agent des sĂ»retĂ©s.
Comment ces projets sont-ils financés par BGFIBank, en mobilisant quels services et outils de financement ?
Comme je lâai indiquĂ©, lâaccompagnement par BGFIBank des projets dâinvestissements reste multiforme. Cela implique des services et des outils de financement distincts mais nĂ©anmoins complĂ©mentaires. Le rĂŽle endossĂ© par BGFIBank dĂ©pend beaucoup du contexte ou des besoins spĂ©cifiques du projet. Il peut ainsi inclure (cumulativement ou non) un rĂŽle (i) de conseil afin de structurer la solution sur mesure, (ii) dâarrangeur chef de file afin de mettre ladite solution en exĂ©cution, (iii) de prĂȘteur pour tout ou une partie du capital requis et (iv) dâagent pour sâassurer de la bonne gestion de la solution pour lâensemble des parties prenantes jusquâĂ la maturitĂ© du financement.
Lâaccompagnement de BGFIBank peut Ă©galement prendre la forme dâautres outils plus classiques : apports en trĂ©sorerie (crĂ©dit Ă moyen terme, financement du cycle dâexploitation), lettres de crĂ©dit, Ă©mission de cautions et de garanties.
Qui sont les diffĂ©rentes parties prenantes dâun projet dâinfrastructures et quels partenariats nouez-vous avec elles ?
Compte tenu des montants financiers importants quâils impliquent souvent, mais aussi de leur nature mĂȘme, les projets en matiĂšre dâinfrastructures mobilisent gĂ©nĂ©ralement plusieurs parties prenantes. En Afrique, les projets dâinfrastructures et leurs cadres de partenariats sont encore rendus plus complexes, dâune part, parce quâils impliquent souvent des acteurs locaux pour les uns, et Ă©trangers ou internationaux pour les autres, et, dâautre part, du fait dâun environnement davantage affectĂ© par lâincertitude ou le risque (dĂ©ficits de transparence, cadre politique propice ou dâune gĂ©ographie Ă©conomique favorable).
Cette dimension partenariale est sans doute aussi importante que les volets strictement financiers (mobiliser des financements, procĂ©der aux dĂ©caissements, etc.) ou techniques (rĂ©alisation matĂ©rielle des ouvrages). En Afrique sans doute plus quâailleurs, la qualitĂ© des partenariats nouĂ©s, ainsi que la permanence du dialogue entre les diffĂ©rents acteurs impliquĂ©s est dĂ©terminante dans la rĂ©ussite des projets Ă mener.
Si les parties prenantes varient fortement dâun projet Ă un autre, compte tenu de leur nature, de leur envergure ou leur complexitĂ©, le portefeuille de projet dâinfrastructures de BGFIBank nous a permis dâĂȘtre en contact avec diffĂ©rentes catĂ©gories de parties prenantes, Ă savoir :
â les Ătats et leurs diffĂ©rents dĂ©membrements (dĂ©cideurs, corps de contrĂŽle, agences dâexĂ©cution, organes de rĂ©gulation et notamment ceux en charge de la passation des marchĂ©s);
â les partenaires techniques et financiers (bailleurs de fonds, agences de coopĂ©ration internationale);
â les banques (dans le cadre des financements en pool);
â les bureaux dâĂ©tudes et de vĂ©rification;
â le secteur privĂ© (et en particulier les entreprises qui rĂ©alisent les travaux dâinfrastructures, ainsi que les fournisseurs dâĂ©quipements ou les prestataires impliquĂ©s dans la rĂ©alisation du projet);
â diffĂ©rents experts ou corps de mĂ©tiers (avocats, commissaires aux comptes, architectes, experts environnementaux).
Quelles sont vos ambitions en matiÚre de financement des infrastructures, à la veille de votre prochain plan stratégique ?
Le Groupe BGFIBank compte lancer, dĂšs janvier prochain, son nouveau Projet dâentreprise « Dynamique 2025 », succĂ©dant ainsi au Projet dâentreprise « Excellence 2020 » lancĂ© en 2016 et qui arrive Ă terme cette annĂ©e. Parmi les grandes ambitions exprimĂ©es dans la nouvelle dynamique du Groupe BGFIBank, nous entendons nous hisser durablement parmi les Ă©tablissements de rĂ©fĂ©rence en Afrique en matiĂšre de financement des investissements structurants.
TrĂšs prochainement, nous allons dâailleurs dĂ©voiler les premiers projets structurants que nous allons accompagner dans le cadre de notre prochain plan de dĂ©veloppement. Des changements importants interviendront dans nos politiques et nos pratiques, pour nous permettre notamment de mieux rĂ©pondre aux besoins des investissements dans les infrastructures africaines. Nous allons par exemple accorder davantage de prĂȘts bancaires Ă long terme et recourir Ă davantage de financements innovants (financements participatifs, etc.).
Notre parfaite connaissance de nos environnements nous a dĂ©jĂ permis dâidentifier les projets structurants que nous serons disposĂ©s Ă accompagner Ă travers divers programmes de financement. La conscience, la volontĂ© et lâengagement des parties prenantes nous confortent dans notre dĂ©termination de faire Ă©merger sur nos diffĂ©rents marchĂ©s un flux important de projets structurants bancables, indispensables au dĂ©veloppement de lâAfrique.
Comment la crise liĂ©e Ă la Covid-19 change-t-elle la donne aujourdâhui pour les projets dâinfrastructures et leurs financements ?
La crise inĂ©dite liĂ©e la pandĂ©mie du coronavirus que traverse le monde actuellement a eu un impact indĂ©niable et multiforme sur les projets dâinfrastructures en Afrique.
Ă lâinstar des autres secteurs Ă©conomiques, le secteur des infrastructures a Ă©tĂ© durement impactĂ© par la crise de la Covid-19 : il a subi le ralentissement de leur rythme dâexĂ©cution voire leur arrĂȘt, le report de certains projets, lâindisponibilitĂ© du personnel, le dĂ©ficit dâapprovisionnement des fournisseurs qui a engendrĂ© la pĂ©nurie de certains intrants⊠Le retard potentiel sur le calendrier de plusieurs projets est quasiment certain. Par ailleurs, des surcoĂ»ts devront ĂȘtre enregistrĂ©s en raison des mesures dâadaptation induites par la pandĂ©mie (nouvelles normes de sĂ©curitĂ© et sanitaire, horaires de travailâŠ).
Jusquâici, les Ătats Ă©taient les principaux investisseurs dans les projets dâinfrastructures, avec une contribution de 37 %, Ă travers le recours Ă lâendettement auprĂšs de la Chine et dâautres bailleurs de fonds internationaux. Les ressources publiques ont Ă©tĂ© mises sous pression par cette crise sanitaire sans prĂ©cĂ©dent. Dans le mĂȘme temps, les capacitĂ©s dâendettement des Ătats sont de plus en plus rĂ©duites, en raison des effets de la crise, des programmes de soutien et de relance Ă©conomique, dont lâampleur et lâurgence ont Ă©tĂ© dictĂ©es par la Covid-19.
Dans ce contexte, lâamenuisement des ressources publiques couplĂ© Ă lâaccroissement de lâendettement afin de lutter contre la Covid-19 ont eu pour effet de modifier lâagenda de nombreux projets en cours. Par ailleurs, les Ătats sont contraints de repenser la maniĂšre de financer leurs infrastructures. Le modĂšle traditionnel basĂ© sur leur endettement peut ne plus suffire pour permettre au continent africain de combler son retard infrastructurel.
Les projets dâinfrastructures en phase dâexploitation, pour leur part, nâont pas Ă©chappĂ© aux effets de la crise : les mesures de confinement et lâinterruption de pans entiers de nos Ă©conomies ont conduit Ă un effondrement immĂ©diat et brutal de la frĂ©quentation et de lâutilisation de nombreuses infrastructures dans les secteurs tels que les aĂ©roports, les ports et les routes notamment. Cette situation accentue la problĂ©matique relative aux nouvelles modalitĂ©s de financement des infrastructures en Afrique.
Les inĂ©galitĂ©s en matiĂšre dâaccĂšs aux financements risquent Ă nouveau de se creuser entre les pays africains riches en ressources naturelles et ceux qui en sont moins pourvus. Si lâAfrique de lâOuest concentre 25 % des financements en infrastructures contre 8 % pour lâAfrique Centrale, cette inĂ©galitĂ© devrait sâaccentuer davantage, au regard de la forte dĂ©pendance des Ă©conomies de lâAfrique centrale au pĂ©trole et aux mines. De mĂȘme, les secteurs de lâĂ©nergie et des transports qui sont les plus grands consommateurs de financements infrastructurels, soit plus de 70 %, devraient voir leur part baisser au profit des investissements dans la santĂ© et les tĂ©lĂ©communications. Cette tendance sâobserve dâailleurs dans les financements que nous avons structurĂ©s et accompagnĂ©s au cours des derniers mois.
En effet, la crise du coronavirus a mis en lumiĂšre de profondes inĂ©galitĂ©s sociospatiales, non seulement en termes dâaccĂšs Ă lâĂ©ducation et aux soins, mais aussi Ă lâemploi, au transport, et au logement.
Face Ă ce nouveau contexte, des solutions de financements alternatives et innovantes devront ĂȘtre dĂ©veloppĂ©es afin de poursuivre la dynamique engagĂ©e sur le continent au cours des derniĂšres annĂ©es. Les partenariats publics privĂ©s, les obligations en infrastructures et le financement des banques commerciales locales et internationales, devraient voir leur contribution augmenter dans le financement des infrastructures.
De plus en plus dâĂtats africains travaillent actuellement Ă poser dĂšs Ă prĂ©sent, les bases dâune stratĂ©gie de priorisation des investissements infrastructurels, afin de garantir lâaccĂšs aux services de bases au plus grand nombre. Les prioritĂ©s de financement des infrastructures vont ainsi ĂȘtre redĂ©finies.
La crise mondiale inĂ©dite, suite Ă la Covid-19, a eu un impact indĂ©niable et multiforme sur les projets dâinfrastructures en Afrique. Les projets dâinfrastructures ont Ă©tĂ© durement impactĂ©s, avec des ampleurs variĂ©es (ralentissements, retards, reports, redimensionnements, arrĂȘts, etc.). Ces effets nĂ©fastes sur le secteur des infrastructures Ă©taient certainement prĂ©visibles, Ă©tant donnĂ© dâune part que la plupart des projets sur le continent sont portĂ©s par les Ătats, et dâautre part que les ressources propres de ces derniers ainsi que leurs capacitĂ©s de mobilisation de financements ont Ă©tĂ© durement affectĂ©es par la crise sanitaire. On a Ă©galement assistĂ© Ă des effets dâĂ©viction, dans la mesure oĂč des transferts de ressources ont eu lieu dans le cadre de lâopĂ©rationnalisation des stratĂ©gies de lutte contre la Covid, ce qui, du reste, est comprĂ©hensible. Enfin, il est Ă noter que cet impact nâa pas uniquement concernĂ© les projets dâinfrastructures : en effet, mĂȘme les infrastructures en phase dâexploitation, et notamment les aĂ©roports, les ports, les routes⊠ont Ă©tĂ© fortement touchĂ©s, suite aux mesures de confinement et Ă lâinterruption de pans Ă©conomiques entiers (dont le tourisme ou le transport aĂ©rien, qui en sont les exemples les plus illustratifs). Lâeffondrement total et brutal de la frĂ©quentation et de lâutilisation de ces infrastructures pose certainement davantage problĂšme en Afrique quâailleurs, compte tenu du fait que sur le continent, il sâagit dans une large proportion dâinfrastructures rĂ©centes, dont le financement continue encore Ă ĂȘtre pris en charge par le service de la dette.
Fort heureusement, la Covid-19, comme toute crise, apporte aussi son lot de lueurs dâespoirs ou de belles perspectives. Tout dâabord, tous les secteurs de lâactivitĂ© Ă©conomique nâont pas Ă©tĂ© impactĂ©s nĂ©gativement, et câest par exemple le cas du numĂ©rique qui, en Afrique, est sorti renforcĂ© de la crise. Le numĂ©rique a en effet Ă©tĂ© dâun grand apport dans la rĂ©silience (sociale, Ă©conomique, etc.) du continent face Ă la Covid, et dĂšs lors, ses usages et ses utilisateurs devraient augmenter considĂ©rablement dans les annĂ©es Ă venir. Par consĂ©quent, le pari peut ĂȘtre fait que le secteur va bĂ©nĂ©ficier au cours des pĂ©riodes Ă venir (et du point de vue notamment de ses infrastructures) dâinvestissements supplĂ©mentaires considĂ©rables. Plus gĂ©nĂ©ralement, le secteur des infrastructures en Afrique devrait pouvoir bĂ©nĂ©ficier des nouvelles opportunitĂ©s consĂ©cutives Ă la crise, et cela pour plusieurs raisons. Tout dâabord, la crise a fini de mettre Ă nu en Afrique les profondes inĂ©galitĂ©s sociospatiales non seulement en termes dâaccĂšs dans les services sociaux (santĂ©, Ă©ducation) mais aussi du point de vue des tĂ©lĂ©communications (Internet, etc.), des transports, de lâemploi, du logement, etc. Ensuite, la Banque mondiale estime que 20 Ă 25 millions dâAfricains pourraient tomber dans la grande pauvretĂ© Ă cause de la pandĂ©mie : certes il ne sâagit pas Ă proprement parler dâune nouvelle rĂ©jouissante, mais la rĂ©ponse des Ătats africains devrait ĂȘtre dĂšs Ă prĂ©sent de poser les bases dâune stratĂ©gie de priorisation des investissements permettant notamment de garantir lâaccĂšs aux services de base aux populations les plus vulnĂ©rables. La BAD estime Ă 80 milliards dâeuros le besoin annuel supplĂ©mentaire pour les projets dâinfrastructures en cette pĂ©riode de crise. Enfin, une grande leçon Ă tirer de cette crise est que lâHomme doit dĂ©sormais ĂȘtre au centre des prioritĂ©s : par consĂ©quent, les Ă©conomies africaines sâorientent de plus en plus vers le financement des infrastructures dĂ©diĂ©es Ă lâamĂ©lioration du bien-ĂȘtre et Ă la satisfaction des besoins essentiels.
La transition Ă©nergĂ©tique est-elle prise en compte dans les projets dâinfrastructures et comment ?
LâĂ©nergie est de loin le plus gros dĂ©fi infrastructurel de lâAfrique, avec environ 40 % du total des besoins de dĂ©penses qui ont trait Ă lâĂ©nergie. MalgrĂ© tout, la part de la population ayant accĂšs Ă lâĂ©lectricitĂ© y est encore infĂ©rieure Ă 50 %. Une trentaine de pays africains sont ainsi rĂ©guliĂšrement confrontĂ©s Ă des pĂ©nuries dâĂ©lectricitĂ© et beaucoup payent un prix Ă©levĂ© pour une alimentation Ă©lectrique de secours. Les 48 pays de lâAfrique subsaharienne (800 millions dâhabitants) gĂ©nĂšrent plus ou moins la mĂȘme quantitĂ© dâĂ©lectricitĂ© que lâEspagne (45 millions dâhabitants). Beaucoup de petits pays ont des systĂšmes Ă©nergĂ©tiques nationaux infĂ©rieurs Ă 500 mĂ©gawatts. Alors quâil reprĂ©sentait 16 % de la population mondiale, le continent africain pĂšse moins de 6 % de la consommation Ă©nergĂ©tique. Fort heureusement, le continent africain peut compter sur son Ă©norme potentiel en matiĂšre dâĂ©nergies renouvelables : 325 jours dâensoleillement intense par an, 15 % du potentiel hydroĂ©lectrique mondial, un bon potentiel Ă©olien et gĂ©othermique. Ce potentiel explique aussi que la transition Ă©nergĂ©tique soit de plus en plus prise en compte dans les stratĂ©gies de dĂ©veloppement des infrastructures en Afrique. Les projets dâinfrastructures autour de ces Ă©nergies renouvelables produiront en Afrique au moins trois effets positifs : (i) ils contribueront Ă attĂ©nuer les effets du changement climatique (bien que, câest important de le rappeler, le continent africain ne pĂšse que 3 % des Ă©missions de gaz Ă effet de serre), (ii) ils permettront de remĂ©dier Ă lâimportante pĂ©nurie dâĂ©nergie (et donc dâamĂ©liorer lâaccĂšs Ă lâĂ©nergie), (iii) ils faciliteront le passage au post-Covid, en contribuant Ă rebĂątir en Afrique des Ă©conomies plus solides, plus rĂ©silientes, plus Ă©galitaires. Dans les pays africains, les projets dâinfrastructures dĂ©diĂ©s Ă la transition Ă©nergĂ©tique commencent Ă se multiplier. Au Maroc, il Ă©tait prĂ©vu de porter Ă 42 %, au plus tard en 2020, la part des Ă©nergies renouvelables dans le bouquet Ă©lectrique. Dans dâautres pays, tels que le SĂ©nĂ©gal, le Ghana, ou lâAfrique du Sud, des infrastructures permettant de produire des Ă©nergies renouvelables (centrales solaires photovoltaĂŻques, thermiques ou thermodynamiques) ont Ă©tĂ© financĂ©es, le plus souvent sur le modĂšle de partenariat public-privĂ©.
Les banques, en tant quâacteurs clĂ©s du financement, ont Ă©videmment un rĂŽle clef Ă jouer dans la transition Ă©nergĂ©tique. Chez BGFIBank, parce que nous sommes conscients de notre responsabilitĂ© sociale, mais Ă©galement convaincus du caractĂšre irrĂ©versible de la transition Ă©nergĂ©tique et des opportunitĂ©s Ă©conomiques qui dĂ©couleraient, nous avons dĂ©jĂ entamĂ© lâadaptation de nos politiques dâallocation des ressources ainsi que de nos instruments de financement. Notre prochain plan stratĂ©gique, dont jâai tantĂŽt parlĂ©, visera Ă©galement Ă accĂ©lĂ©rer notre adaptation Ă la transition Ă©nergĂ©tique. Cela exigera, entre autres, une expression plus forte de notre responsabilitĂ© sociĂ©tale ainsi que de notre volontĂ© de contribuer Ă la prĂ©servation de lâenvironnement. Il sâagit pour nous de garantir une meilleure prise en compte des intĂ©rĂȘts de toutes les parties prenantes (y compris les populations potentiellement impactĂ©es par la rĂ©alisation des infrastructures), une place accrue des considĂ©rations environnementale ou de lâadaptation au changement climatique dans nos critĂšres dâanalyse et dâĂ©valuation des projets.
Quelle est votre analyse de lâĂ©volution du financement des infrastructures en Afrique ? Comment rĂ©pondre aux besoins ? Faut-il mobiliser davantage le secteur privĂ© et comment ?
De mon point de vue, les investissements dans les infrastructures resteront pour longtemps encore en Afrique un levier majeur de la croissance et du dĂ©veloppement. Trois Ă©lĂ©ments me paraissent nĂ©anmoins essentiels : un financement adĂ©quat, dâexcellentes capacitĂ©s institutionnelles et une bonne attention portĂ©e par lâĂtat sur les besoins des citoyens ou des utilisateurs actuels et futurs des infrastructures. Je suis Ă©galement convaincu que la qualitĂ© des infrastructures constitue en Afrique un enjeu fondamental, compte tenu non seulement du dĂ©ficit infrastructurel ou du des ressources limitĂ©es, mais aussi du fait que 40 % des infrastructures en Afrique sont gaspillĂ©es. Une infrastructure de qualitĂ© doit rĂ©pondre Ă cinq critĂšres : (i) lâefficacitĂ© Ă©conomique, (ii) la rĂ©silience face aux catastrophes naturelles, (iii) la sĂ©curitĂ©, (iv) la durabilitĂ© environnementale et sociale, et (v) la contribution Ă la sociĂ©tĂ© et Ă lâĂ©conomie. Il est fondamental que les pays africains, dâune part privilĂ©gient une approche plus sĂ©lective dans le choix et le financement des infrastructures quâils rĂ©alisent (prioritaires, durables et axĂ©es sur le long terme) ; et dâautre part alignent leurs investissements dans ces infrastructures sur les stratĂ©gies nationales de dĂ©veloppement Ă©conomique Ă long terme.
Comme je lâai tantĂŽt rappelĂ©, aujourdâhui jusquâĂ deux tiers du financement des infrastructures (environ 30 milliards de dollars) proviennent de sources nationales, et donc du contribuable africain. Cela signifie que ces derniers participent considĂ©rablement au financement des infrastructures. Par consĂ©quent, les ressources complĂ©mentaires devront ĂȘtre mobilisĂ©es auprĂšs dâautres catĂ©gories dâacteurs, parmi lesquels le secteur privĂ©. Ă ce jour, les capitaux privĂ©s ont jouĂ© un rĂŽle trĂšs limitĂ© dans le financement des infrastructures en Afrique. En 2017, les flux privĂ©s sâĂ©levaient Ă 2,6 milliards de dollars, soit seulement 4 % de lâinvestissement total dans les infrastructures sur le continent. Les investissements dans des projets dâinfrastructures publiques Ă participation privĂ©e sont Ă©galement restĂ©s limitĂ©s.
Pour rĂ©pondre au dĂ©fi du financement des infrastructures, une plus grande participation du secteur privĂ© est tout simplement indispensable. Cela nĂ©cessitera Ă la fois une multiplication des espaces de consultations et dâĂ©changes entre le secteur privĂ© et les pouvoirs publics, mais aussi lâamĂ©lioration des cadres rĂ©glementaires et un environnement plus favorables aux investisseurs privĂ©s et institutionnels. Il existe toutefois un prĂ©alable : favoriser lâĂ©mergence dâun secteur privĂ© fort, impliquĂ© dans les projets nationaux.