Plaidoyer pour les victimes du camp Boiro

Plus de trois décennies se sont écoulées depuis que les terribles cellules du Camp Boiro ont livré leur lourd secret


Plus de trois dĂ©cennies se sont Ă©coulĂ©es depuis que les terribles cellules du Camp Boiro ont livrĂ© leur lourd secret au peuple de GuinĂ©e incrĂ©dule puis horrifiĂ© devant tant de barbarie. Et si le temps a sĂ©chĂ© nos larmes et apaisĂ© notre douleur, il ne l’a pas Ă©teinte ni effacĂ© notre souvenir.

La blessure Ă©tait trop profonde pour cicatriser complĂštement. Nous avons si longtemps pleurĂ© ceux qui nous ont Ă©tĂ© arrachĂ©s si brutalement et tant espĂ©rĂ© qu’ils reviendraient ! Et dans cette longue attente de l’hypothĂ©tique retour, s’est gravĂ©e en nous la parole du prophĂšte, qui nous dicte notre devoir : « les fils des persĂ©cutĂ©s doivent garder la mĂ©moire des persĂ©cutions subies par leurs pĂšres et ĂȘtre les gardiens de la justice ».

Or, alors que nous avons peu fait pour connaitre toute la vĂ©ritĂ©, voilĂ  que nous arrivons inexorablement au moment oĂč les derniers tĂ©moins de la tragĂ©die vont disparaĂźtre l’un aprĂšs l’autre happĂ©s par le temps qui s’écoule. Alors que nous avons fourni trop peu d’effort pour donner un Ă©clairage sans complaisance sur cette partie sombre de la vie de notre nation, voilĂ  qu’apparaissent les plaies ouvertes d’un passĂ© qui s’éloigne, tandis que sous l’effet du temps qui passe, la mĂ©moire se transforme en histoire. DĂ©jĂ  des faussaires ne sont-ils pas Ă  l’Ɠuvre pour en altĂ©rer la vĂ©ritĂ© ? DĂ©jĂ  certains ne s’appliquent-ils pas Ă  diluer, pire, Ă  effacer des responsabilitĂ©s pourtant inscrites en lettres de sang ? La banalisation de la vie humaine, la multiplication des crimes les plus abominables, la dĂ©gradation accĂ©lĂ©rĂ©e des mƓurs et tous ces abus dans les pratiques quotidiennes des services de sĂ©curitĂ© ne sont-elles pas annonciatrices de la rĂ©surgence d’actes qui s’apparentes tant par leur essence que par leur finalitĂ© Ă  ces abominables pratiques ? N’est-ce pas ce qui advient quand le passĂ© n’est pas convenablement exorcisĂ© ?

Rien ne serait plus grave que de permettre Ă  l’équivoque de s’installer durablement et de masquer, pour le prĂ©sent et l’avenir de la GuinĂ©e, la signification du martyre des victimes du Camp Boiro. Notre nation dont le destin a Ă©tĂ© Ă©maillĂ© aussi bien de faits glorieux que d’évĂ©nements tragiques n’a rien Ă  craindre de la vĂ©ritĂ©. N’est-il pas inconcevable et dramatique qu’à ce jour aucune investigation sĂ©rieuse n’ait Ă©tĂ© officiellement entreprise pour clarifier des Ă©vĂ©nements d’autant plus tragiques qu’ils concernent une frange importante de l’histoire de notre pays et de sa population ? N’est-il pas politiquement et socialement inacceptable que, trente-cinq ans aprĂšs l’ouverture des geĂŽles de l’horreur, aucune journĂ©e nationale de commĂ©moration n’ait Ă©tĂ© instituĂ©e, aucun monument Ă©difiĂ©, aucune rue ou place publique baptisĂ©e Ă  la mĂ©moire des martyres du Camp Boiro ?

Certes, le pouvoir actuel, au mĂȘme titre que ceux qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©, ne saurait ĂȘtre rendu comptable du crime du Camp Boiro commis au nom d’une RĂ©volution infanticide par les dirigeants de la PremiĂšre RĂ©publique mais il doit Ă  leurs victimes, un ultime hommage : l’enseignement de la vĂ©ritĂ©, la culture du souvenir et la force de la justice.