Doura Chérif :  » Le danger que nous risquions tous parce que nous étions assis sur une montagne de grenade. »

Le juge Doura Chérif qui a conduit l’emblématique procès des gangs en 1995 vient de faire des révélations sur la bande de Matthias qui avait semé la terreur dans la capitale Guinéenne Conakry.

Près de 25 ans après les faits, ce magistrat dont le flegme et la maitrise de son dossier avait marqué les esprits revient sur ce jugement qui avait eu un grand retentissement dans le pays. M.Chérif qui est aujourd’hui à la retraite plaide pour la grâce des détenus du procès des gangs. S’il jouit encore d’une certaine admiration au sein de l’opinion, Doura Chérif révèle cependant qu’après ce procès, « la haine des hommes s’est cristallisée sur lui ».

Les guinéens vous ont découvert à travers le procès des gangs tenu en 1995 à Conakry. Dites-nous comment aviez-vous conduit cette affaire ?

Je  crois que pour un juge il n’y a pas de secret. Il faut connaitre son dossier, connaitre la procédure, il faut avoir les qualités de juge, il faut être patient, il faut être à l’écoute de tout le monde sans précipitation, prendre tout le temps nécessaire pour examiner les questions afin d’aboutir à un résultat heureux. Mon secret franchement dans ce procès aussi sensible, je crois c’était  la patience. Dans la procédure il faut connaitre l’homme, parce que l’homme est un être complexe  surtout quand il est malfaiteur. Il cherche toutes les possibilités pour se cacher derrière ce qu’il fait parce qu’il ne veut pas être découvert. Alors à cela il faut opposer la patience, il faut opposer la ruse aussi. Comme je l’ai dit tout cela associé à la procédure on finit par aboutir à un résultat.

Pour la petite histoire, ce procès je n’avais pas voulu qu’il soit médiatisé, mais cette médiatisation a peut-être amené les populations à découvrir les hommes pas moi seul mais tous les membres de la cour à l’époque. Il s’agit du ministère public qui était tenu par mon frère Alphonse Aboly, les interprètes ont été connus, les avocats comme Me Boubacar Sow,Samuel McCarthy, le doyen Bangoura Kassory ont été connus. Il y a eu beaucoup d’admiration mais il y a eu aussi beaucoup d’ennemis, beaucoup de jalousie, je ne sais même pas comment qualifier tout ça.

 

Comment avez-vous vécu l’après-procès et sa médiatisation ?

Après le procès, j’étais obligé de quitter le système judiciaire, on m’avait fait quitter, parce que je crois que la haine des hommes s’était un peu cristallisée sur moi  à certains niveaux. Evidemment pas le peuple, le peuple lui a particulièrement apprécié le déroulement du procès, a  admiré et a respecté les magistrats qui ont  conduit le procès et qui ont rendu ces décisions. De l’autre côté il y a eu des cadres qui ont été vraiment jaloux, c’est le cas de certains ministres, des directeurs de ceci ou cela. Ce qui est tout à fait normal aussi, la vie des hommes va ainsi. Donc, après le procès, j’étais au Canada à  une mission, lorsque j’ai  appris que je ne suis plus président de la Cour d’Appel. Je suis rentré au pays, j’ai passé le service à celui qui devait me remplacer  et je suis resté chez moi. Un jour c’est le président de Lansana Conté qui m’appelle pour parler de tout cela, on s’est donné des explications. Un beau jour j’apprends que je suis nommé conseiller juridique à la présidence de la République, plus tard conseiller spécial chargé des relations avec les institutions républicaines. Je suis resté à la présidence pendant longtemps.

Evidemment je crois qu’on a touché à ma carrière, dans la mesure où des ministres n’ont pas supporté l’aura du juge. Pour être sincère c’est cela. Mais je suis parti tranquillement en pensant que ce débat n’était pas élevé, j’ai rendu le tablier j’ai quitté.

Est-ce que dans l’histoire de la justice guinéenne, il y a eu à votre avis un procès d’une telle envergure ?

Bon il y a eu d’autres procès en Guinée qui n’ont pas eu certainement le retentissement du procès des gangs. Mais dans ma carrière j’ai enregistré des grands dossiers tels que l’affaire de Magoua en Forêt, l’affaire Bala Gaya à Labé, l’affaire Falèssadè à Dubreka ici, le procès des narcotrafiquants,  par après il y a eu le procès des mutins. Il y a eu des grands dossiers mais qui n’ont pas malheureusement connu le retentissement qu’il fallait, que les jeunes magistrats ne connaissent pas d’ailleurs. Il y a aussi le procès du professeur Alpha Condé, le récent procès dans l’affaire du 19 juillet.

Vous qui aviez conduit ce procès pendant huit mois, comment aviez-vous compris qu’une bande de jeunes sème la terreur pendant un bon moment dans la capitale guinéenne et que vous vous arriviez à reconstituer les faits et rendre un verdict qui soulage tout le monde?

Je pense qu’il y avait la déliquescence de l’Etat voire  l’inexistence même de l’Etat. Pour qu’une bande des jeunes gens de cet acabit puisse soumettre tout un peuple comme s’il n’avait pas d’Etat, il faut que l’Etat soit impuissant. Il faut dire qu’il y avait la responsabilité de l’Etat. Naturellement il y a beaucoup de causes : sociologique, politique etc. Quand la famille a échoué, quand l’école a échoué, quand l’Etat ne prend pas sa responsabilité, c’est la rue qui prend la relève. C’est l’ensemble de tout ça qu’on appelle l’insécurité.

Après avoir rendu le verdict dans ce procès,  aviez-vous eu des remords ou des satisfactions ou bien les deux à la fois ?

Ecoutez ! Je me suis dit simplement, si c’était un échec et que l’échec avait eu le même retentissement que le succès du procès, moi je serais obligé de quitter la Guinée ou de me suicider. Parce que vous savez le procès des gangs c’est comme s’il avait eu lieu  encore aujourd’hui. Partout c’est le même respect des populations. Partout où je passe, on dit le voici, c’est Doura chérif celui qui avait jugé les bandits. On vous respecte on vous rend des  services. Ça c’est une reconnaissance de la nation, c’est une grande chose, une chose importante. Je crois que si c’était une désapprobation qui était à la hauteur des appréciations que nous sommes en train de vivre aujourd’hui, moi je n’aurais plus le goût de vivre en Guinée.

 

Ne pensez-vous pas ces trois méritent une grâce présidentielle plus de 25 ans après leur condamnation ?

Voilà une question très importante qui me donne l’occasion d’interpeller le Président de la République. Indien Kaala est à la prison de Kindia, Chocho également, Papa Sangaré est là à Conakry. Il y a 24 ans depuis que ces jeunes ont été condamnés. Aujourd’hui Indien Kaala a vieilli à la prison de Kindia (59 ans NDLR). Je suis allé souvent leur rendre visite quand ils ont été transférés à Kindia.J’ai eu des entretiens avec Indien Kaala, je pense qu’au jour d’aujourd’hui est-ce que je suis la voix autorisée pour demander la clémence du chef de l’Etat ? est-ce que je suis aujourd’hui la personne la mieux indiquée pour attirer l’attention du président de la République sur l’existence de ces jeunes qui sont encore là condamnés dans le procès des Gangs  ? C’est une occasion pour le président de la République de faire preuve de magnanimité comme il l’a fait pour Fatou Badiar et les autres qui sont accusés dans l’attaque dont il a lui-même été victime. Je pense que la presse que vous êtes aujourd’hui va se joindre à moi pour demander au président de la République de voir dans quelles mesures ces jeunes qui restent en prison condamnés dans le procès des gangs peuvent bénéficier aussi d’une grâce.

Le procès des gangs a duré  8 mois, qu’est-ce qui vous avait le plus marqué pendant les débats ?

Ce qui m’a beaucoup plus marqué dans les débats, c’est surtout la complexité du dossier. C’est l’état de putréfaction de notre société. Le danger que nous risquions tous parce que nous étions assis sur une montagne de grenade, la Guinée était sur un volcan. Ce qui était plus inquiétant, n’importe qui pouvait  être victime de ces jeunes. Un jour c’est le président Lansana Conté qui le dit lui-même : «  ces jeunes gens auraient pu moi-même m’assassiner alors que je n’aurais fait que les approcher ».C’était une jeunesse sans encadrement  abandonnée par les familles, par l’Etat qui s’est  retrouvée pour se constituer en arméeDonc, ce qui m’a impressionné c’est la possibilité ou encore le temps qu’on a donné à ces jeunes de s’organiser de cette façon alors qu’il y avait l’armée, la police et la gendarmerie en un mot l’ensemble des services de sécurité. Encore une fois je reviens à ce que j’ai au départ il n’y avait pas d’Etat. Malheureusement la même situation continue jusqu’à présent c’est ça qui est dangereux. L’Etat doit exister, l’Etat doit se manifester; il doit être omniprésent et omniscient.

De l’avis de certains citoyens, il y a eu des peines assez lourdes par rapport aux crimes commis. Est-ce que vous partagez cet avis ?

Je ne pense pas de cette façon parce que je ne suis pas le seul responsable des peines. C’était une Cour d’Assises. Toute décision qui est tombée à cet effet, c’était  une décision collégiale qui a été prise. A mon avis chacun est libre de faire des commentaires. Je peux même dire que la Cour a été très clémente parce qu’on aurait pu aboutir à des décisions plus dures, à des dispositions plus lourdes par rapport à celles qui ont été entreprises.

Est-ce que vous avez eu un entretien particulier avec un condamné dans cette affaire des gangs à la maison centrale de Conakry ?

Oui c’est vrai, d’ailleurs cela arrive très souvent que je les rencontre. Il est arrivé aussi que certains après avoir fini de purger leur peine me recherche pour me remercier, c’était le cas de Agbolo. Quand Agbolo a fini sa peine, il me recherchait à travers Conakry. Certains me disaient fait attention Agbolo est en train de et rechercher, peut-être il veut te faire du mal il faut être prudent. Un jour c’est Agbolo qui vient me trouver à la Cour d’Appel où j’étais venu alors que je suis en service à la présidence. Il s’est jeté sur moi avec des remerciements, merci papa pour tout ce que vous avez fait pour nous, moi j’ai finis ma peine je te recherchais pour te remercier, il a réuni des personnes là-bas pour me remercier. Il me dit finalement grâce à vous, nous sommes  devenus des humains.

.

Me Doura Cherif plus de deux décennies après le procès des gangs, des bandits plus dangereux que le groupe de Matthias Leno font la loi dans le pays sans qu’ils ne soient mis aux arrêts. Ou bien lorsqu’ils sont arrêtés, ils sont libérés plus tard sans jugement. Faut-il un autre procès des gangs à votre avis ?

C’est regrettable ce qui se passe. L’impression des populations c’est que le procès des gangs a apporté une accalmie pendant longtemps dans le pays. Malheureusement il y a eu relâchement, ça c’est regrettable,  il n’y a pas eu de continuité  et cette jeunesse continue à ne pas être encadrée dans une situation où il y a le manque d’emplois, l’échec scolaire qui viennent grossir les rangs des bandits dans les rues. Facilement ils peuvent se reconstituer et faire ce qu’ils veulent. C’est désolant que la situation ait pu revenir.

Maintenant ce qu’il  faut faire peut-être encore c’est de donner beaucoup plus de pouvoir à la justice, mieux équiper les officiers de police judiciaire, ne pas relâcher l’organisation des procès. C’est vrai tout cela permettrait de maitriser la situation ou en tout cas de diminuer le taux de la criminalité.

Qu’est-ce que vous visiez concrètement en demandant à Matthias de faire cet aveu?

Ce que je visais, c’était d’abord de jouer sur la conscience, mais cet aspect il faut le laisser. C’était un aveu notoire, donc il y a eu un effet. Si l’effet que l’acte a produit sur les populations sur un Mathias ou ses compagnons  je pense que l’objectif est atteint.

Avez un message particulier des détenus dans le procès des gangs ?

Si j’ai un message à l’endroit de ceux qui ont été condamnés qui ont recouvré leur liberté, j’espère que ces gens ont tiré toutes les leçons des peines qu’ils ont subies. Et si hier ils n’étaient pas des travailleurs aujourd’hui ils sont des travailleurs, ils cherchent à vivre honnêtement. À leurs familles et à toutes les familles d’ailleurs ce que je leur dirai c’est d’éduquer les enfants, de leur donner une formation, de faire en sorte que leurs enfants soient des personnes utiles demain.