Neuf ans après, le massacre du stade de Conakry bientôt en procès

Le procureur guinéen en charge de ce dossier est formel : «Qu’on le veuille ou pas, cette affaire sera jugée en Guinée. Je ne sais pas quand, mais elle sera jugée»

 

L’année 2018 débute sur une note d’espoir pour les victimes du massacre du 28 septembre 2009 à Conakry. Ils ont appris avec soulagement que l’instruction judiciaire vient d’être close après neuf ans d’enquête. En attendant le procès qui s’annonce, retour sur ce crime de masse qui a traumatisé des milliers de familles.

Le procureur guinéen en charge de ce dossier est formel : «Qu’on le veuille ou pas, cette affaire sera jugée en Guinée. Je ne sais pas quand, mais elle sera jugée», a-t-il martelé devant la presse, en précisant que pour ces crimes de masse, il n’y a pas de délais, pas de prescription non plus.

Des dizaines de femmes violées, des opposants mitraillés, d’autres portés disparus. Une journée de triste mémoire qui hante la mémoire des Guinéens.

Ce 28 septembre 2009, le stade de Conakry est plein à craquer. Des milliers d’opposants se sont rassemblés pour dire non à la candidature du chef de la junte militaire guinéenne, le capitaine Moussa Dadis Camara, qui a pris le pouvoir par les armes en décembre 2008. Il veut se présenter à l’élection présidentielle.

La veille, il a interdit toute manifestation dans la capitale. La répression menée par ses hommes est brutale. Ils tirent à bout portant. Ils violent et massacrent tout sur leur passage. Les témoignages recueillis par Human Rights Watch font froid dans le dos.

«Ils tirent à bout portant et violent des dizaines de femmes»

Un homme rescapé du massacre raconte: ils «sont entrés par le grand portail du stade. Ils ont commencé à tirer directement sur la foule. J’ai entendu un soldat crier : « Nous sommes venus faire du nettoyage! » J’ai décidé de courir à la porte située à l’extrémité. J’ai vu de nombreux corps gisant sur la pelouse.»

Un dirigeant de l’opposition présent ce jour-là à la tribune du stade: «Les soldats ont mis les portes en métal sous tension en coupant les câbles électriques avant d’encercler le stade. Ils sont ensuite entrés dans le stade en tirant. Les gens tombaient. C’était incroyable. Il y avait des cadavres partout.»

Des viols collectifs et des violences sexuelles particulièrement cruelles ont été commis contre des dizaines de filles et de femmes présentes au stade, souvent avec une brutalité extrême. Certaines victimes sont mortes suite aux blessures infligées.

Une enseignante âgée de 35 ans à l’époque raconte à Human Rights Watch: «Lorsque les tirs ont commencé, j’ai essayé de courir, mais (les soldats) m’ont attrapée et traînée au sol. L’un d’eux m’a frappé deux fois sur la tête avec la crosse de son fusil. Et quand je suis tombée, les trois se sont jetés sur moi. Deux m’ont maintenue à terre tandis que l’autre me violait. Ensuite le second m’a violée, puis le troisième. Ils me battaient tout le temps.»

Puis elle décrit le calvaire d’une jeune femme violée à ses côtés. «A environ trois mètres, une autre femme avait été violée. Lorsqu’ ils ont fini, l’un d’entre eux a pris sa baïonnette et l’a enfoncée dans son vagin. J’ai vu cela, juste à côté de moi… J’ai été tellement effrayée qu’ils ne le fassent à moi aussi.»

Des unités de la garde présidentielle à l’œuvre

Selon une enquête menée par Human Rights Watch, le massacre était prémédité et a été perpétré par des unités d’élite de la garde présidentielle.

Depuis son exil doré du Burkina Faso, le capitaine Moussa Dadis Camara, au pouvoir à l’époque des massacres, a toujours nié être responsable de cette tragédie. Il avait accusé son aide de camp, le lieutenant Toumba Diakité d’avoir supervisé cette opération. Excédé, ce dernier lui avait tiré une balle dans la tête.

Laissé pour mort, Dadis Camara avait été évacué le 3 décembre 2009 pour des soins au Maroc avant de trouver refuge à Ouagadougou, au Burkina Faso. C’est là que des juges guinéens l’ont auditionné et inculpé le 8 juillet 2015. Les familles des victimes attendent maintenant qu’il soit extradé et traduit enfin en justice.

Le procureur guinéen en charge de ce dossier a d’ores et déjà pris un arrêté créant un comité de pilotage en vue de la préparation matérielle du procès qui devrait durer entre 8 et 10 mois.

Les Etats-Unis et l’Union européenne ont annoncé des contributions financières qui viendront s’ajouter au budget fourni par l’Etat guinéen.

Massacre du 28 septembre: y a-t-il une volonté de juger Toumba Diakité ?

La pression est mise sur la justice et sur Cheick Sacko. Cette pression serait plus infernale si Toumba mourrait d’Ebola en prison et ce ne sera pas la faute au manque de financements

 

En janvier 2017, pendant les tractations sur le transfèrement de Toumba Diakité de Dakar à Conakry, celui-ci avait émis sa crainte d’être éliminé avant son procès. Ses avocats s’étaient faits l’écho de cette inquiétude, mais beaucoup pensaient à une stratégie. Même l’AVIPA, l’association des parents et victimes du massacre du 28 septembre, n’y croyait pas tellement pour faire confiance en la justice guinéenne pour que le procès se déroule à Conakry pour permettre de recueillir tous les témoignages qui ne pouvaient se faire si le procès se déroulait à la Haye.

Naturellement, avec les garanties données fermement par le ministre de la Justice que le procès aura lieu en 2017 si le financement était réuni et il sera réuni. Seul le président de l’Inidh avait émis son avis que le procès se déroule à la Haye. Force est de constater que 2017 tire à sa fin et rien ne s’est déroulé, même que les avocats de Toumba disent craindre pour sa vie, on dit même qu’il aurait été objet d’une tentative d’injection douteuse.

Dans ces conditions, les avocats ont fait une déclaration tonitruante à la Maison de la Presse pour faire connaître la situation ainsi que leur position dans cette affaire. Ils ont décidé de jeter l’éponge pour, disent-ils, ne pas cautionner ce qui adviendra à Toumba.

En tout cas, la pression est mise sur la justice et sur Cheick Sacko. Cette pression serait plus infernale si Toumba mourrait d’Ebola et ce ne sera pas la faute au manque de financement, puisque la source de ce financement n’est pas unique, comme on semble avoir entendu.

Dans ces atermoiements, on se demande si la volonté existe de tirer au clair ce qui s’est passé le 28 septembre 2009. Quant au financement de ce procès par l’extérieur, s’il ne vient pas, pourquoi ne pas se déclarer incompétent pour transférer le procès à la Haye là, où il est sûr d’avoir lieu un jour ou l’autre.

Là-bas, le prévenu bénéficierait d’un traitement pour l’empêcher de mourir de maladie bénigne, maligne ou orpheline. Tenir absolument au procès sans avoir les moyens ou la volonté est une publicité qui n’en vaudra pas la peine.

A la dernière minute, on apprend que Alpha Condé vient d’inaugurer le siège flambant neuf du ministère de la Justice, peut-être que cette réalisation, qui aurait coûté 40 milliards de FG va faire retrousser les manches à Cheick Sako pour tout mettre en branle pour qu’enfin la vérité sur le massacre du 28 septembre 2009 soit élucidée. Il y a 9 ans que cela dure.

Quant aux avocats qui ont provoqué l’électrochoc dans tous les milieux, on espère que cela a piqué au vif les bailleurs de fonds et les politiques, ils devront revenir à leurs premiers sentiments.

Massacre du 28 septembre : Toumba Diakité désormais sans avocats

Le collectif des avocats d’Aboucar Diakité alias Toumba a annoncé son retrait définitif dans cette affaire au cours d’une conférence de presse tenue le 20 décembre 2017 à la maison de la presse de Conakry

 

Le collectif des avocats d’Aboucar Diakité alias Toumba a tenu une conférence de presse mercredi 20 décembre 2017 à la Maison de la presse de Conakry. Il était question de faire le point sur l’évolution du dossier du stade du 28 Septembre 2009 et d’annoncer son retrait définitif dans cette affaire, a appris Guineematin.com à travers deux de ses reporters.

Il y a quelques mois déjà, ils avaient annoncé la suspension de leur assistance au commandant Aboubacar Diakité. Les avocats de Toumba annoncent maintenant qu’ils se retirent définitivement du dossier du 28 septembre 2009.Une décision qui vise à protester contre « les grandes dérives de l’instruction de l’affaire relative aux événements du stade du 28 Septembre 2009. Nous avons donc contacté dans cette affaire, beaucoup de failles, des violations des droits de la défense. Toumba Diakité inculpé au même titre que ses pairs, que ses co-accusés qui eux, sont perchés à de hautes sphères de responsabilité, qui sont élevés en dignité et qui jouissent d’une entière protection de l’autorité suprême. Il est le seul à ce jour, à avoir été placé sous mandat de dépôt à la maison centrale de Conakry où il est détenu dans des conditions inadmissibles », a déclaré Maître Paul Yomba Kourouma, membre du collectif des avocats d’Aboucar Diakité.

Ces conditions, dit-il, « ont été dénoncées, condamnées, stigmatisées, matérialisées même par des demandes déposées par le collectif des avocats et qui ont débouché sur des vérifications de l’autorité non seulement par le Parquet mais aussi par l’autorité départementale. Le constat était exact et des promesses ont été prises par l’autorité afin d’humaniser son cadre de vie. Parce que Toumba vit dans une salle surchauffée non meublée, sur un canapé fait des mains des prisonniers, à peine raboté, à peine recouvert par un matelas qui se partage avec des puces et des punaises. Tous ces constats ont été faits. La liberté provisoire qui a été demandée et qui n’était plus une entrave à la manifestation de la vérité dès lors qu’il a été entendu sur le fond par les juges, nous a été refusée… Le chef de l’État que nous avons demandé à faire citer pour être entendu en tant que témoin dans un premier temps n’a pas comparu. Les juges n’ayant dit mot autour de la question alors que son audition pourrait beaucoup aider. Ce dossier n’a connu aucune confrontation. Il (Toumba) n’a été confronté avec aucun de ses accusateurs », fustige l’avocat.

C’est au regard de toutes ces violations, indiquent les avocats de Toumba, qu’ils ont décidé de se retirer définitivement du dossier. « Nous nous sommes donc dits, qu’il serait suicidaire pour nous d’accompagner à la potence à l’échafaud, à la condamnation éternelle, puisqu’il est supposé être l’agneau qui devra être immolé, crucifié pour le rachat des forfaitures de ses collègues. C’est pour ces raisons donc, que nous avons décidé de nous retirer définitivement ».

Toumba Diakité qui croupit à la maison centrale de Conakry depuis son extradition de Dakar se retrouve donc sans avocats désormais et sans savoir quand il sera présenté devant un tribunal pour s’expliquer sur son rôle dans le massacre du 28 septembre 2009 au stade du même nom. Evénement au cours duquel plus de 150 personnes avaient été tuées, de nombreuses autres blessées et des femmes violées selon des organisations de défense des droits de l’Homme.

Même si la phase de l’instruction a été bouclée récemment, aucune date n’a été annoncée pour l’ouverture du procès, alors que le ministre de la justice avait promis il y’a quelques mois, qu’il ferait tout pour que ce procès tant attendu puisse s’ouvrir avant la fin de cette année.